"Le temps, c'est un peu comme le vent. Le vent, on ne le voit pas : on voit les branches qu'il remue, la poussière qu'il soulève. Mais le vent lui-même, personne ne l'a vu"Je passais mon doigt le long de la fenêtre et attendis. Le jour n'allait pas tarder à se lever et je voulais le voir. Je ne dormais pratiquement plus depuis Paris. Les bébés avaient décalé mon rythme de sommeil là-bas, mais depuis qu'ils n'étaient plus là, je n'arrivais plus à me remettre dans le bon rythme. Je soupirais et ouvris la fenêtre, laissant la rosée pénétrée dans ma chambre. Un frisson parcourut mon corps et je croisai mes bras sur ma poitrine, essayant de me réchauffer. J'étais fatiguée, mais pas le genre de fatigue que l'on peut combler avec une bonne nuit de sommeil. La fatigue lasse des temps passés, celle qui nous poursuit toujours, même quand tout va. La lassitude de vivre, simplement. Je fermais les yeux et les premiers rayons apparurent face à moi, caressant doucement ma peau nue. Les oiseaux s'éveillèrent avec eux. Le ciel se teinta de ses couleurs si particulière et l'aube naquit.
Je laissais la porte du placard se refermer et regardais autour de moi. Le bazzart avait prit possession de ma cuisine. Tout ça, pour un petit-déjeuner. Je soupirais et glissais mes doigts dans mes cheveux, et plissais le nez. Je détestais le désordre, et là, c'était un sacré bordel. Lentement, j'entrepris de tout ranger, tout en mangeant. Nettoyer ma cuisine n'était peut-être pas la meilleure idée que j'ai pu avoir, maintenant. Je grimaçais plus d'une fois, sentant les points de douleur dans le bas de mon dos. Je soufflais et massais mes reins douloureux. Les larmes emplirent mes yeux. Pendant combien de temps tout ce cirque allait durer ? Merde, c'était il y a deux ans ! Pas comme si l'accident c'était produit il y a une semaine ! J'attrapais le premier objet qui me passa sous la main et le balançais contre le mur. Le verre entra en contact avec la surface verticale et froide, et se brisa. De tout ce qui traînait autour de moi, il ne reste que des morceaux. Mes mains saignaient par endroit, mais je m'en foutais. Je grimaçais et allais m'appuyer contre un mur. Mon corps se glissa lentement contre la surface derrière moi, et mes fesses tombèrent, en douceur, sur les morceaux de verres éparpillés de partout. Mes doigts rougis par le sang glissèrent dans mes cheveux, les collent entre eux. Aucune importance. Mon corps s'installa de lui-même dans ce balancier habituel. Les larmes roulèrent enfin sur mes joues.
Je fermais les robinets quand l'eau commença à se refroidir. Je n'avais pas spécialement envie de me choper froid, maintenant. Mes mains étaient entaillés un peu partout, et mes poignets également. Mais par rapport à il y a deux ans, ce n'était rien. Je soupirais et me séchais rapidement, cherchant des vêtements à enfiler. Je m'avançais vers la glace, au-dessus de mon minuscule lavabo et passais ma main sur la buée, laissant un léger trait rougeâtre. Je marmonnais un tas d'insultes, en plusieurs langues et soupirais, me retenant de justesse de glisser mes doigts dans mes cheveux. Merde, hein ! Ils sont propres, autant qu'ils le restent ! Je terminais de me préparer et restais un long moment devant mon reflet. Me maquiller ou non ? En grimaçant, j'attrapais un tube de mascara et tentais de me maquiller. Je sentais les larmes qui affluaient à nouveau au bord de mes yeux. Je laissais le petit tube. Mes doigts se crispèrent en un poing et j'envoyais tout voyager. Le peu de produits qu'il y avait sur la petite étagère arrivèrent au sol dans un bruit sourd. Et plus rien. Les portes s'ouvrent et se ferment. Les feuilles bougent de quelques millimètres. Le désordre est toujours ici. Puis là. Et juste en bas, la rue.
À pied, dans la rue, je regardais les gens qui passaient. Ils allaient tous travailler, s'amuser, s'aimer, vivre. Et moi, je passais. Une sorte d'âme grise et vide. Le test de couleur pour un daltonien. La couleur dans les vieux films en noir et blanc. Le son en décalé par rapport aux personnages. L'erreur de la nature, le déchet de la société. La fille qui se noie, seule. Mon coeur se comprime dans ma cage thoracique. Aujourd'hui, j'aurais dû être maman. Depuis deux et demi. Qu'est-ce que ça aurait changé ? Rien ou tout ? Je pousse les portes de l'hôpital et après un signe de tête aux infirmières que je connais, je pousse la porte du bureau de ma psy. L'habitude. Elle me connaît, je la connais, nous nous connaissons. Elle ne sait pas que j'ai perdu les bébés. Enfin si, mais je ne lui ai jamais dis. Foutu dossier. Foutu toubib français qui m'oblige à être suivi. Oui, je suis instable et alors ? Je savais que j'aurais pus les aimer. Elle me parle, je ne l'écoute qu'à moitié. Je prends ma place, ma place habituelle dans cet éternel recommencement. Et les questions d'usages qui fussent « Comment vas-tu ? Depuis quand es-tu rentré ? Est-ce que tu as repris la fac ? Qu'as-tu fais à tes mains ? ». Oh, ça. Juste un petit excès de solitude et de douleur. Trois fois rien, on en prend l'habitude, vous savez. On vit avec. Et la question la plus importante qui fusse. « Que c'est-il passé à Paris ? »
Alaska
» Rien. Rien à part un accident de voiture. Rien à part le fait que j'ai perdu les bébés. Rien à part le fait que j'ai perdu le dernier lien que j'avais avec Thomas. Rien à part le fait que j'ai perdu une partie de mon audition. Des petites broutilles sans importance.
Le silence. Elle ne dit rien. Il n'y a rien à dire. Puis, la psy explose. Je ne dois pas réagir comme ça, pas avec autant de nonchalance. Oui, mais c'était il y a deux ans, j'ai fais le deuil, maintenant. Sauf mon histoire avec Thomas. Elle restera toujours et longtemps. Je l'écoute me sermonner. Elle m'envoie chez un de ses confrères me faire soigner, mais avant cela, on fixe un autre rendez-vous. Je vais bien, merde ! Je suis normale. J'en ai juste plus rien à faire de la vie. Elle m'a dégoûté, elle ne m'a montré que ses aspects les plus salauds et les plus répugnants. Je n'en veux plus. Je veux survivre et plus vivre. Quittant ce lieu que je déteste par-dessus tout, je prends le chemin pour rentrer à la maison. À pied. Je flâne dans les quartiers et regarde les vitrines. Oui, j'ai vécu dans cet endroit. Une chose est sûre, c'était une très mauvaise idée de revenir sur mes pas. Je soupire et prend la direction de chez Thomas, sans réellement savoir pourquoi. En bas de son immeuble, je ravale la boule qui grossit dans ma gorge et me retourne, attrapant un taxi qui passait par là. Une personne est déjà assise à l'arrière, et j'essaie de négocier avec le chauffeur. Je glisse une main dans ma poche et en ressort des billets, que je lui donne. Il ne peut pas refuser, et j'embarque. Malgré les deux ans loin de l'Argentine, mon espagnol est toujours intact, bien qu'un peu rouiller. Un léger sourire fend mes lèvres, quand je repense à Miles et à la première fois que je l'ai vu. Sans quitter l'extérieur du regard, j'ouvre la bouche. Je sais qu'il y a quelqu'un dans ce taxi, avec moi. Qui, je m'en fous. Mais la personne est présente.
Alaska
» Heu … Excusez-moi, vous allez où ?
Je me tourne légèrement vers la demoiselle, dès le début de ma phrase. La jeune femme tourna la tête vers moi et je clignais des yeux. Mon regard vert s'ancra dans le sien et ma bouche s'ouvrit plusieurs fois, pour se refermer. Aucun son ne pouvait en sortir, et merde, je l'avais déjà vu quelque part. Je fronçais les sourcils et tournais le visage, laissant mon regard s'échapper du sien. Je cherchais dans ma mémoire où j'avais déjà pu croiser ce visage connu. Les pièces du puzzle de ma mémoire se remettaient lentement en place. Paris. Août. La chaleur et l'odeur du désinfectant. Ma surdité. La perte des bébés. Je ferme les yeux et ravale mes larmes. Ne pas pleurer. Ne pas craquer. Je mords l'intérieur de ma bouche et le sang se diffuse. Liquide rouge au saveur de poison. Je secoue mes cheveux bruns et après avoir baissé la tête, je la relève. Mes yeux retrouvent les siens et je les affronte. Encore.
Alaska
» Paris, n'est-ce pas ? Au mois d'août-septembre ? J'vous ai foncé dedans et j'ai pas été super sympa, non ?
Si tels sont mes souvenirs, alors oui, j'ai été dure Mais les bébés venaient de mourir. Je n'entendais plus que la moitié du monde. Elle est peut-être venue sur ma gauche, je ne l'ai pas entendu. À fleur de peau, je l'ai incendié. Sans raison. Sans motif. Juste parce que le monde était injuste. Juste parce que la vie n'était qu'une connerie à jouer pendant quatre-vingt ans. Juste parce que je venais de sortir de l'hôpital, seule.
- Spoiler:
Tu sais quoi ? C'est de la merde et désolée pour l'attente